C’est l’une des toutes premières règles enseignées aux jeunes journalistes. La loi du mort kilomètre (ou principe de proximité pour un nom un peu moins morbide) est appliquée dans la presse locale, mais également dans les journaux télévisés, la radio, et tout autre domaine lié à l’actualité. Définition, application et impact sur le paysage médiatique moderne.
Une loi issue des principes de la Gestalt
Cette loi, bien connue des journalistes, prend racine dans les règles de la psychologie de la perception. Ce sont les psychologues de la Gestalt – à savoir Max Wertheimer, Kurt Koffka et Wolfgang Köhler – qui en proposent les principes en 1910.Les lois, ou principes, de Gestalt affirment que le cerveau humain perçoit les informations reçues comme un tout et non comme un ensemble séparé. En gros : « le tout n’est pas la somme des parties », comme l’a expliqué en son temps Köhler. Il y a en tout 17 principes de la Gestalt dont : la loi de la solidarité, la loi de la totalité, la loi de la structure, la loi de la dialectique, la loi du mouvement commun, etc. Et bien sûr, celle qui nous intéresse ici, le principe de proximité.
Son fonctionnement est simple : des éléments similaires sont perçus comme appartenant à la même forme / au même groupe. En d’autres mots, le cerveau humain à tendance à regrouper les choses qui se ressemblent, qui ont des points communs : la couleur, la forme, le mouvement, le lieu de localisation… Ce regroupement a créé ensuite différentes sortes de proximité : physique, émotionnelle, intellectuelle…
De la philosophie au journalisme
Chez les journalistes, le principe de proximité prend un nom un peu plus macabre puisqu’on parle aussi de « loi du mort kilomètre ». Le principe est très simple : plus un évènement a lieu près de là où se trouve le lecteur, et plus il aura de l’importance à ses yeux, plus le lecteur va s’intéresser à cet évènement. 1 mort dans un rayon d’un kilomètre intéressera plus que 1 000 morts sur un autre continent.
Dans le journalisme, il est essentiel de savoir organiser et hiérarchiser les informations. L’objectif : ne pas perdre son auditoire. Une organisation des informations qui passe également par un tri, parfois difficile, de l’actualité. Quelles informations va-t-on mettre au cœur de son journal télévisé, laquelle sera en une du périodique, et quelles seront les news à mettre en avant dans le flash radio ? C’est là que la loi du mort kilomètre, du principe de proximité, va également s’appliquer. Les journalistes vont se baser sur quatre proximités différentes afin de déterminer quelles sont les informations à sélectionner :
- La proximité temporelle
- La proximité géographique
- La proximité culturelle et sociétale
- La proximité affective
En pratique
Bien entendu, le principe du mort kilomètre ne régit pas l’entièreté de l’actualité. Les grands reporters, par exemple, sont un exemple concret de l’intérêt du public pour l’actualité à l’étranger, mais à petites doses. Rares sont ceux qui délaissent entièrement la presse locale pour ne s’intéresser qu’à l’actualité de l’autre côté de l’océan.
Ce principe de proximité est tout particulièrement utilisé dans les rubriques des faits divers. La presse parle alors de “hiérarchie” de la mort, carrément. Attention, comme lors de son application dans le choix des sujets présentés dans les autres rubriques, il ne s’agit pas d’émettre un quelconque jugement de valeur. Cette hiérarchisation consiste à déterminer quel sujet est le plus susceptible d’intéresser la cible éditoriale de tel ou tel média.
À titre d’exemple, les manifestations contre la réforme des retraites en France ont éclipsé la guerre en Ukraine. À priori, une guerre devrait revêtir plus d’importance que le recul de l’âge de départ à la retraite. Pourtant, les manifestations étant à la fois plus proches : géographiquement (proximité géographique), et culturellement/socialement (proximité sociétale) des Français. En plus de cela, les manifestations étaient plus récentes (proximité temporelle), et impactaient directement la vie des Français (proximité affective).
Une vision biaisée de l’actualité ?
Même s’il s’agit d’une règle depuis longtemps éprouvée et adoptée par la profession, elle pose tout de même quelques questions. Est-ce que le principe de proximité déroge à la déontologie journalistique ? Après tout, le but du journalisme est d’ouvrir les esprits au monde. Pas de ne montrer que ce que les lecteurs veulent voir. Certains vont même jusqu’à parler de biais médiatique : une vision de l’actualité biaisée, par les médias eux-mêmes.
Quand bien même les sujets suivant les principes de proximité ont tendance à tirer la couverture à eux, cela n’empêche en aucun cas les journalistes de traiter de sujets plus éloignés des lecteurs. C’est d’ailleurs pour cela qu’il existe de nombreuses rubriques. Certains médias sont même spécialisés dans les actualités à l’étranger. Le principe de proximité sert davantage à capter l’attention du lecteur (pour ensuite leur montrer facilement des sujets qu’ils ne seraient peut-être pas allés voir par eux-mêmes) que de lui cacher une partie de l’actualité.
À l’ISFJ, les étudiants apprennent dès leurs premiers cours de presse écrite (tout comme dans leurs autres modules) à mettre en pratique cette loi du mort kilomètre, à en connaître tous ses tenants, aboutissants, et limites.